lundi 5 août 2013

La cause des enfants, de Françoise Dolto


 
 Si elle est désignée comme l'autrice du livre, il s'agit en fait d'une sorte de très longue interview de Françoise Dolto pour éclairer sa conception de l'enfance. Elle est interrogée sur des sujets aussi variés que son propre parcours, le statut de l'enfant à travers l'Histoire, la Maison Verte qu'elle a fondée, le système scolaire, … Si son interlocuteur·ice reste anonyme (probablement parce qu'iel est plusieurs), s'autobaptisant "les passages en italique", ça ne l'empêche pas d'être parfois passablement relou, par exemple en se vautrant dans des clichés ("la phrase la plus entendue ces dernières années, dite par des adolescents et des moins adolescents, c'est  "nous n'avons pas demandé à naître" "), en jouant avec complaisance à distribuer des points en expliquant que personne ne fait ce qu'il faudrait pour les enfants, même voire surtout ceux qui veulent leur bien (les associations humanitaires, par exemple, osent ne pas régler tout les problèmes... c'est vrai que publier un livre d'entretiens avec Dolto, ça, ça va révolutionner radicalement et durablement la vie des enfants du monde entier) ou en caricaturant quand ça lui plaît ("l'éthologie, qui étudie le comportement des diverses espèces animales, a mis au premier plan de l'apprentissage des petits le phénomènes d'attachement aux nourriciers. Les psychologues de s'emparer de cette observations et de déclarer : "Cela doit exister chez les êtres humains, puisque ça existe chez les animaux" "... "les psychologues" n'ont pas "déclaré" mais ont fait des recherches conséquentes et intelligentes, mais bon quelle importance, c'est plus sexy d'imaginer Mary Ainsworth regarder des canaris et en tirer des conclusions sur le psychisme de l'enfant). Lespassagesenitalique se fait toutefois discret·ète l'essentiel du temps.

  Ça peut paraître contradictoire dans un livre avec un tel titre, mais la volonté de Françoise Dolto est, autant que possible, de ne pas voir les enfants considérés comme des êtres à part ("moi, je ne savais pas que j'aimais les enfants... j'aimais les humains, voilà tout "). L'adulte doit traiter l'enfant comme lui-même voudrait être traité, que ce soit dans le domaine du respect des désirs, de l'apprentissage de la morale... l'enfant est un être humain responsable au même titre que l'adulte, avec des compétences motrices et cognitives moindres. Contrairement à ce qu'on peut parfois entendre sur Françoise Dolto, elle ne recommande pas à l'adulte d'être aux ordres de l'enfant, il n'y a pas la moindre ambiguïté là-dessus : avoir ses moindres désirs satisfaits n'est pas décrit comme quelque chose d'enviable ("si le désir est toujours satisfait, c'est la mort du désir"), le respect des règles doit être enseigné (les enfants accueillis à la Maison Verte sont d'ailleurs informés d'office du règlement), même si ce respect ne concerne que les règles qui ont un sens (par exemple, "tout interdit, pour un enfant, n'a de sens que si l'interdit est le même pour les parents"), la participation aux corvées doit être encouragée ("ce serait valorisant") et, surtout, il importe que les parents continuent de vivre leur vie d'adultes, d'avoir des centres d'intérêt d'adultes, tout en élevant leurs enfants ("on se créé la fausse obligation de sacrifier la vie du couple (sacrifice inutile, comme la plupart des sacrifices)").

  Françoise Dolto s'en prend par exemple longuement au système scolaire, qui selon elle enseigne surtout à se plier aux désirs de l'adulte ("le bon élève, en fait, c'est celui qui accepte que l'adulte l'ait coupé de ses racines et forcé à l'imiter"). Elle déplore que le programme soit imposé à l'enfant qu'il le veuille ou non, et surtout sans qu'il ait son mot à dire sur le rythme (elle propose par exemple une séparation plus nette entre les matières, pour qu'un enfant de 8 ans puisse par exemple avoir un niveau CM2 en maths, et un niveau CP en géographie, sans que cela ne pose de problèmes ni à l'enfant ni à l'institution - "c'est le rythme de chacun qui devrait compter et non pas l'âge civil"). Le programme imposé tendrait également à anéantir la curiosité de l'élève, richesse qu'il faudrait au contraire exploiter. La satisfaction des élèves qui ont bénéficié des pédagogies de type Freinet et Montessori lui donnent raison, mais ces noms ne sont évoqués qu'en coup de vent par Lespassagesenitalique, qui préfère disqualifier dans la mesure du possible ce qui ne vient pas de Dolto.

  Le respect implique le dialogue, et le dialogue, sous des formes différentes, est très largement au centre de l'ouvrage. Si la période où les internes de l'hôpital prenaient l'externe Françoise Dolto pour une folle parce qu'elle parlait aux bébés (dans une anecdote qu'elle rapporte, le bébé en question avait quand même 18 mois!), ce qui ne l'empêche pas d'avoir un jugement très tranché sur le parler-bébé ("c'est de la non-communication"), elle juge qu'on sous-estime encore énormément la capacité de compréhension des enfants, y compris de réalités difficiles. Elle insiste ainsi beaucoup sur l'importance de parler aux enfants de leur identité, de leur origine. L'enfant est élevé par une mère célibataire? Il faut lui expliquer que même s'il ne l'a jamais vu il a un père, que sa mère a aimé (ou pas), mais qu'ils se sont séparés. De même si l'enfant a été adopté : ses parents ont probablement été contraints de l'abandonner car ils n'avaient pas les ressources pour s'occuper de lui, mais ses parents adoptifs étaient ravis de le recueillir. La mère désirait un enfant de l'autre sexe? Il faut lui pardonner ses réactions de déception et surtout se rassurer : un enfant n'est pas un projet d'enfant, et le désir non assouvi d'une fille ou d'un garçon n'empêchera pas d'aimer l'enfant réel. Lorsqu'elle parle longuement de la Maison Verte (qui a pour vocation d'être un espace de transition entre la famille et les lieux de garde institutionnels -crèche, école, ...-) et de son fonctionnement qui a pris de nombreuses personnes au dépourvu (mères s'indignant de devoir rester avec leur enfant, de ne même pas pouvoir s'absenter 5 minutes, alors qu'elle espéraient une garderie, professionnels de la petite enfance surpris qu'un médecin psychanalyste soit là, mais ni en tant que médecin ni en tant que psychanalyste ou encore qu'il n'y ait pas d'activités programmées - "être avec les humains, ce n'est pas faire. Il faut faire ! Est-ce le jeu ? Non. C'est de développer plus d'être"-, …), c'est l'occasion de présenter plusieurs vignettes cliniques d'enfants en retard de développement apparent, qui ont fait des progrès spectaculaires au point de pouvoir paraître magiques lors de la révélation, en présence des parents, d'un non-dit, ou lorsqu'un sens a été donné à une histoire de vie douloureuse.

  La pensée de Françoise Dolto sur la cause des enfants est cohérente et enrichissante, même sans être d'accord avec tout ce qu'elle dit. Le livre est toutefois très long, et certains chapitres s'éloignent du sujet (la courte autobiographie de Dolto, introduite par le long récit de son apprentissage de la lecture) ou, à mon avis, le desservent (le premier chapitre décrivant la conception de l'enfant à travers les âges, où Lespassagesenitalique s'en donne à cœur joie pour résumer des périodes historiques en un paragraphe, remplaçant la complexité par une affirmation -à l'époque A, l'enfant=B pour telle ou telle raison- et estimant probablement faire preuve d'une grande culture), mais il peut par ailleurs être intéressant, à titre anecdotique ou non, de savoir par exemple ce qu'apporte la double expérience d'infirmière et de médecin, ce que pense Dolto de la psychologie expérimentale (de la vision analytique classique du sujet -"ce qui est observable, testable, n'est que la partie visible de l'iceberg"- à un reproche éthique pertinent -on demande l'accord des parents, pas des enfants-, en passant par un reproche à côté de la plaque -la recherche expérimentale ne permettrait de trouver que ce qu'on sait déjà, sauf qu'elle dit ça juste après un joli contre-exemple-), l'immensité des âneries qu'elle est capable de dire -heureusement, quand elle sort du sujet- (mettre la fin de l'expansion coloniale et la baisse de la natalité sur le compte d'une obsession contemporaine de la sécurité -parce que bien sûr, le risque est la motivation première du colonisateur comme des parents de famille nombreuse- ou joyeusement conclure le livre en confondant avortement et contraception -les défenseurs de la légalisation de l'avortement y voient, pour une raison connue d'elle seule, "le moyen le plus sûr de contrôler les naissances"- et d'achever l'ouvrage et l'argumentaire anti-droit à l'avortement sur "Arrêtons le génocide" -bon, alors on va reprendre tout doucement... le génocide, c'est prévenir les nouvelles naissances en tuant TOUS ceux de l'origine qu'on veut exterminer, l'avortement, c'est ne pas aller au bout d'une grossesse non désirée, et ça n'empêche même pas d'avoir eu des enfants avant et d'en avoir après... un point de repère pour situer facilement, si les femmes qui avortent ne se suicident pas, on peut estimer -en fermant les yeux sur énormément de choses- que c'est un meurtre, mais on est super loin du génocide-) ou encore d'autres choses que j'aurais oubliées. Pour un équivalent plus synthétique, on peut se diriger vers Les étapes majeures de l'enfance.

2 commentaires:

  1. On voit là tout l'intérêt de l'ouvrage et toute la difficulté de critiquer une pensée riche et synthétique. Françoise Dolto a été la première à vouloir parler en terme simple de choses infiniment complexes qui sont les relations entre les hommes, les relations entre les générations, donc entre parents été enfants, la transmission et le projet et la mise en relation. La façon dont j'interprère notamment ses propos sur ce que la fin de la colonisation a changé dans la vie des hommes et en particulier des français (mais aussi des américains et des anglais, par exemple, je veux dire des peuples pionniers) était le fait que l'on doivent se rendre compte que le monde ne nous appartenait pas et qu'il avait une fin. Dire que cela impliquait une sorte d'insécurité politique ne me semble pas idiot, et on est déjà dans la démarche écologiste, en quelque sorte sur l'idée que le monde appartient à nos enfants. Cette approche est insécure et l'insécurité est nécessaire dans le passage au monde adulte. le plus fort dans l'ouvrage de Dolto, et ses flashs soit en gras, soit en italiques, qui relèvent à mon avis d'un choix d'éditeur pris en accord avec l'auteur me semblent particulièrement justifiés. A moi, qui n'avait pas fait d'études de psycho, ces passages ont éclairé ma vie et mes relations aux femmes et aux enfants, notamment à celui que j'ai eu le bonheur d'avoir. Bref, à la lecture de l'ouvrage, il y a 20 ans, je me suis rendu compte que les critiques anti-Dolto provenaient bien souvent de personnes qui n'avaient même pas mesuré à quel point son système de pensée et d'approche étaient révolutionnaires.
    Bien sur, il y a ce qu'elle dit sur l'avortement. En gros, elle ne le conseille pas. Elle ne s'est jamais battu pour son interdiction. Elle dit que cela constitue un traumatisme pour les femmes. N'étant pas une femme, je ne me suis jamais permis de la contredire sur ce point. Je pense toutefois que l'on peut imaginer que cela soit le cas pour beaucoup de femmes et qu'il y a autant de réactions à la grossesse qu'à l'avortement. Je pense aussi que la mesure des conséquences d'un avortement ne sont pas à négliger. Il est vrai aussi que Françoise Dolto, qui a été la première à afficher la sexualité féminine (un ouvrage beaucoup plus difficile à lire, parce que destiné à un public scientifique) dans une période où celle-ci était niée et ou l'avortement était puni de prison voire pire (n'oublions pas que la dernière femme condamnée à mort en France l'a été pour avoir provoqué des avortement) et ou toute propagande pour la contraception était interdite avant la Loi Neuwirth.
    Pour le reste, rappeler que la réponse à la formule préférée des adolescents "je n'ai pas demandé à être là" était justement pleine de vérité et de bon sens. Oui, l'adolescent, comme tout être vivant a demandé à être là, sinon il n'y serait pas. La vie est un phénomène miraculeux pour Dolto et pour moi aussi. L'attitude de Dolto rejoint d'ailleurs celle de Wilhelm Reich qui sur ce point était en opposition avec Freud simplement en disant qu'il n'y a pas d'instinct de mort chez l'être humain, parce que la vie est l'aboutissement de volontés. Cette approche simple et clair en opposition aux affres de l'adolescence, par une vraie réponse d'adulte m'a paru particulièrement puissante.

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  2. Ce qui me pose problème dans les exemples que tu relèves ne sont pas vraiment son avis en lui-même mais le manque de rigueur qui les accompagne. Si on prend l'exemple de la décolonisation et de la diminution du nombre d'enfants par famille comme signe que notre société se dirige vers un rejet du risque, l'affirmation est clairement absurde, c'est d'ailleurs pour ça que c'est celle-ci que je relève pour dire que les généralités qui constituent la première partie du livre on un intérêt très limité. Ceux qui sont favorables à la colonisation diront qu'elle a été motivée par la volonté de faire profiter de nos infrastructures et notre culture supérieures aux races inférieures (avec des termes plus élégants, parce qu'on est plus à l'époque de Jules Ferry), ceux qui y sont opposés diront qu'il s'agissait d'exploiter une population qui avait le malheur d'être en infériorité militaire et ses territoires, les historiens diront que c'est plus compliqué que ça, mais il n'y aura pas grand monde pour affirmer que le moteur de la colonisation était l'amour du risque. De même, on imagine mal que les familles nombreuses le sont (et surtout l'étaient à l'époque où la contraception était infiniment moins développée) principalement pour le plaisir de prendre des risques. Le fait que la société soit de plus en plus sécuritaire (on met des photos de cancer du poumon sur les paquets de cigarette parce que tomber malade est maintenant aussi une responsabilité envers la société, le téléphone portable est interdit au volant et la ceinture de sécurité obligatoire, l'employeur est responsable des accidents sur le lieu de travail, ...) est pourtant une réalité (je ne sais par contre pas si ça a toujours été le cas, si c'est contemporain où si ça a démarré dans les années 80, mais j'ai la forte impression que Passagesenitaliques et Dolto non plus).

    En ce que concerne la fin de la contraception elle ne va pas aussi loin que toi, et dans son plaidoyer ne se soucie absolument pas des femmes : elle se préoccupe juste d'une éventuelle "extinction" des enfants, et conclut l'ensemble du livre là-dessus.

    Les propos en eux-mêmes sont anecdotiques, mais c'est l'aspect fantaisiste de leur argumentation qui a fait que je les ai relevés, parce que cet aspect fantaisiste choque et donc les rend saillants.

    En ce qui concerne les passages en italiques, le livre se construit explicitement sur le modèle de l'entretien, donc à moins que l'éditeur ne mente et que Dolto ne s'interviewe en fait toute seule, il s'agit bien d'une (où, à mon avis, de plusieurs) autre(s) personne(s).

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