vendredi 2 février 2018

Réinventer le couple, de Carl Rogers



 Sous la forme, le plus souvent, de récits commentés (dont celui du mariage de l'auteur!), Carl Rogers propose des éléments pour identifier ce qui fait qu'un mariage (ou une relation de couple, mais il est surtout question de mariages) sera ou non heureux, les difficultés et échecs étant tout autant source d'enseignements que les succès.

 Sans surprise, la communication est un élément central. Si essentiel que soit cet élément, il n'en est pas pour autant facile : la communication sincère implique l'écoute de l'autre, y compris pour entendre des choses désagréables, et l'éventuelle remise en question qui s'ensuit. Une connaissance de Carl Rogers a par exemple, alors que son mariage, de l'extérieur, semblait idéal en tous points (confort matériel, enfants, vie sociale riche, …), souffert de découvrir qu'elle ressentait de l'agacement en entendant la voiture de son époux rentrant du travail : elle a alors pris conscience de tout ce qui n'allait pas, et lui a tout envoyé à la figure. Pris au dépourvu, il en a conclu que comme tout allait bien de son point de vue, le problème venait de son épouse qui du jour au lendemain le faisait souffrir bien injustement. Les échanges auraient pu être plus fructueux si le couple avait pris plus tôt l'habitude d'échanger, mais aussi si elle avait pris conscience plus progressivement de ce qui n'allait pas : s'écouter soi-même est un élément non négligeable de la communication.

 L'un des obstacles à s'écouter soi se glisse dans les injonctions de la société : personne ne se met en couple, ne se marie, en étant affranchi d'un certain nombre de conceptions plus ou moins rigides du rôle de chacun, du comportement à avoir, du statut que ça implique. Le risque est de diriger ses efforts pour "faire marcher" la relation vers la conformité à un modèle, plutôt qu'à l'écoute de ses valeurs et désirs. Une personne interrogée, qui n'a trouvé le bonheur qu'à son troisième mariage (ce qui a demandé un travail sur elle-même, sur la relation, et un changement de perspective) s'est mariée jeune avec des attentes urgentes d'émancipation de ses parents, et la volonté d'avoir une sexualité, sujet sur lequel elle n'était presque pas informée. Elle a ainsi mis trop de temps à se rendre compte que le premier, puis le second mariage étaient insatisfaisants, et n'a pu apprécier pleinement sa relation avec son troisième époux que quand elle s'est demandée ce qui la rendait heureuse, plutôt que quel objectif elle voulait atteindre. Le couple heureux est d'ailleurs un couple en mouvement : Rogers a très largement montré dans l'ensemble de son œuvre que mieux se connaître tel que l'on est permet paradoxalement de changer. Dans la mesure où le couple implique de mieux se connaître et de mieux connaître l'autre, on peut s'attendre dans une relation à de riches changements de personnalité (le dernier couple présenté -auquel Rogers avait d'abord prédit une longévité très limitée!- réalise vers la fin de l'entretien que, si chacun rencontrait maintenant l'autre tel qu'iel était au début de la relation, il n'y aurait probablement pas d'attirance mutuelle).

 Les couples présentés impliquent rarement (jamais ? je n'ai pas revérifié) seulement deux personnes : que ce soit uniquement érotique ou qu'il y ait eu des sentiments plus intenses, d'autres personnes ont, serait-ce temporairement, été en situation d'intimité avec au moins l'un des deux membres du couple interrogé. Une fois encore, l'ensemble des entretiens permet de constater que la communication est au centre : plus que la non-exclusivité, c'est l'extra-conjugalité qui pose problème. Cette non-exclusivité peut en effet être acceptée voire, comme c'est le cas pour le dernier couple interrogé, enrichir la relation et renforcer finalement l'exclusivité du couple, lorsque les termes sont négociés ensemble, les motivations explorées sincèrement (Rogers n'ayant lui-même pas assez communiqué au préalable, les compétences diplomatiques de sa fille ont du être appelées à la rescousse pour sauver son couple!). Les communautés où la sexualité est explicitement ouverte entre tous les membres ne sont par ailleurs pas à l'abri des disputes, des accès de jalousie, … L'ensemble des entretiens permet de constater que la sexualité est en soi une part importante du couple, la communication est donc là aussi source d'enrichissement de la relation. Rogers fait part des difficultés qu'il a lui-même connues : alors qu'il avait répondu à des questionnaires en tant que sujet (rémunéré, lui semble-t-il quand il essaye de se souvenir de sa motivation initiale) d'une recherche, parler de ce sujet avec un chercheur l'a aidé à décider d'en parler avec son épouse, plutôt que de se contenter de constater son insatisfaction. Surmonter le tabou n'était que la première étape : comme toute communication en cas d'insatisfaction, celle-ci implique d'entendre des choses désobligeantes et de se remettre en question, mais comme toute communication, elle a permis une amélioration considérable sur le long terme.

 Si les conclusions sur ce qui fonctionne ou non -si vous avez le livre sous la main, c'est expliqué beaucoup mieux qu'ici sur une dizaine de pages dans le neuvième chapitre- sont assez transparentes et récurrentes à la lecture des entretiens (Rogers assure que ce n'était pas prémédité), l'enjeu du livre, plus ambitieux, est de redéfinir les relations amoureuses (c'est plus explicite dans le titre français, le titre anglophone se contentant d'un moins intimidant Becoming Partners). Alors que l'auteur se demande dans l'introduction à quoi ressemblera le mariage dans 30 ans (vu que le livre date de 1973, le suspense pour le·a lecteur·ice ne sera pas tout à fait insoutenable), il est plus direct dans la conclusion en déplorant que la société s'accroche au carcan du mariage et s'alarme des expérimentations alternatives sur ce sujet pourtant essentiel (il constate que l'adultère, l'érotisme, les divorces, voire dans un cas la consommation de cannabis, cauchemars aux yeux des personnes conservatrices, ont permis à certains couples de s'épanouir -j'ai failli écrire tenir, brrr- ) au lieu de les étudier et les encourager comme dans d'autres domaines (agriculture, ingénierie, …). Au delà de la définition d'un couple épanoui comme un couple qui se redéfinit sans cesse, il invite donc l'ensemble de la société à redéfinir la relation amoureuse.

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