jeudi 1 mars 2018

Je pense trop, de Christel Petitcollin




 Vous avez parfois la sensation d'être à côté de la plaque, des difficultés à vous adapter à l'école, dans vos relations sociales, professionnellement? C'est peut-être parce que vous êtes, selon les termes, surdoué·e, hyperefficient·e, ou encore avec un cerveau dominé par l'hémisphère droit (les profs de neuro, étourdi·e·s qu'iels sont, ont oublié de parler de cette histoire d'hémisphère dominant dans le programme de licence).

 Si vous vous sentiez incompris·e ou exclu·e avant la lecture du livre, il y a de très fortes chances que vous le soyez beaucoup moins pendant : les critères de l'autrice pour reconnaître les personnes hyperefficientes sont très, très larges (et elle prend le temps de recommander de ne surtout pas faire un test de QI pour confirmer). Par exemple, les personnes hyperefficientes ont une tendance à l'hyperesthésie, c'est à dire à avoir les sens plus développés. Donc, si vous détestez les parfums trop entêtants ou que certaines mauvaises odeurs vous gênent, si vous pouvez "deviner l'origine géographique d'un café ou d'un chocolat" (vous aussi, vous pensiez bêtement que c'était une question d'entraînement?), ou encore, mon préféré, si vous pouvez "entendre plusieurs sons simultanément", vous êtes très probablement concerné·e. Vous ne vous reconnaissez pas dans l'hyperesthésie ? Mais vous avez peut-être, par ailleurs, un sens moral, un amour du prochain intransigeants : "Avec vous-même, vous êtes exigeant, toujours prêt à la remise en question et capable d'autodérision. La force de votre intelligence est votre ouverture d'esprit, la curiosité, l'humour et une innocence aussi rafraîchissante que créative. Enfin, votre sens de la justice, votre droiture et votre authenticité sont sans pareilles". Voilà qui va aider à faire la distinction entre les 15 à 30% de personnes concernées et les autres! J'imagine sans mal 85% de la population lire ce passage et se dire "non, vraiment je ne me reconnais pas là-dedans, je suis fondamentalement un·e connard·sse ennuyeux·se, et mon but dans la vie est de pourrir l'existence de mon voisin". Et encore, si c'était malgré tout votre cas, l'autrice a pensé à vous. Vous pensez trop, vous vous posez mille questions sans parvenir à couper le flux? Ça prouve que vous êtes hyperefficient·e. Vous savez apprécier l'instant présent plus qu'un·e autre, avez parfois des expériences mystique de connexion avec l'Univers, soit le genre de choses que permet la méditation de pleine conscience, entraînement qui permet au contraire de limiter le flux de pensées? Hyperefficient·e aussi. Vous êtes incapables d'organiser votre pensée ou d'apprécier l'instant présent car vous êtes "émotionnel, donc irrationnel", sans cesse envahi par les émotions, incapable de prendre de la distance même avec celles des autres? Ça marche aussi. Faire une liste exhaustive prendrait un temps certain, mais ce livre rendrait fou de jalousie n'importe quel·le rédacteur·ice d'horoscope : tout le monde peut se sentir concerné, au point que l'autrice suppose par défaut que le·a lecteur·ice est surdoué·e en s'adressant à lui ou elle. Vous faites attention à votre tenue vestimentaire pour un rendez-vous professionnel important? Ce n'est pas du professionnalisme, voyons, c'est un problème d'estime de soi, donc une preuve que vous êtes surdoué·e (oui, cet exemple est vraiment dans le livre). Quand on est sûr·e de soi, semble-t-il, on reçoit les client·e·s VIP en bermuda et casquette Bob L'Eponge. Vous avez plus de mal à investir un apprentissage scolaire quand il ne vous intéresse pas ? Vous en êtes. Là encore, c'est un vrai exemple du livre. J'en conclus que pour 70 à 85% de la population, apprendre l'annuaire par cœur c'est pareil qu'apprendre les paroles de sa chanson favorite. On vous a déjà dit que vous étiez trop sensible? Il y a des gens qui ne partagent pas vos valeurs morales et ça peut vous heurter (encore que, Martin, Bisounours parce que surdoué, "crie sur des employés qu'il estime stupides", mais ça doit être par créativité qu'il exprime l'amour de l'autre et une éthique de fer de cette façon)? Vous attachez parfois une valeur sentimentale à des objets parce qu'ils vous rappellent des souvenirs précieux? Vous avez déjà rendu un service à contrecœur parce que vous n'osiez pas refuser? Hyperefficient·e, hyperefficient·e, et re-hyperefficient·e! Si vous trouvez le moyen de rester perplexe, l'autrice brisera vos résistances en vous étalant force pommade : "votre pensée est globale, intuitive, affective ou fulgurante", "votre problème principal, c'est votre intelligence. Vous êtes clairement beaucoup plus intelligent que la moyenne des gens", "partout où ils passent, quoi qu'ils entreprennent, les surefficients réussissent", …

 Tout ceci aboutit tout de même, en plus de caser à plusieurs reprises l'histoire du vilain petit canard, à donner des conseils (dont celui d'acheter les autres livres de l'autrice). Ne le répétez pas, mais je crois que ces conseils pourront aussi être utiles à vos ami·e·s non-surdoué·e·s : soignez votre estime de soi en vous fixant des objectifs réalisables et en appréciant vos réussites au lieu de les accompagner d'un "oui, mais", utilisez des mind-maps pour organiser votre pensée, consacrez du temps à des activités créatives, ou encore faites du sport (il manque "ne fumez pas trop", "ayez une alimentation saine" ou "brossez-vous bien les dents", mais je vois que l'autrice a publié une suite).

 Le livre joue beaucoup, beaucoup, sur le sentiment d'exclusion, d'inadaptation. Sur ce point, on peut apprécier la charte d'affirmation de soi de Liane Holliday Willey qui y est reportée (la source n'est pas évidente à trouver, parce que ce serait trop simple de la donner dans le livre, mais il semble que ce soit au départ destiné aux personnes atteintes d'autisme): "Je ne suis pas déficient, je suis différent. Je ne sacrifierai pas ma dignité pour me faire accepter de mes pairs. Je suis quelqu'un de bien et d'intéressant. Je suis fier de moi. Je suis capable de me débrouiller en société. Je demanderai de l'aide en cas de besoin. Je suis digne d'être respecté et accepté par les autres. Je me trouverait une carrière adaptée à mes aptitudes et mes intérêts. Je serai patient avec ceux qui ont besoin de temps pour me comprendre. Je ne renierai jamais mon identité. Je m'accepterai pour ce que je suis." Je regrette un peu que l'autrice ait gardé tout ce qu'il y avait autour.

2 commentaires:

  1. Bravo pour cet article bien enlevé et impitoyable. Un regret toutefois : pourquoi s'en prendre aux rédacteurs d'horoscopes ? Minorité encore une fois injustement décriée ?

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  2. Je ne m'en prends certainement pas aux rédacteurs d'horoscope : écrire un texte bref qui semble spécifique mais qui doit pouvoir concerner tout le monde, douze fois, au rythme de parution d'un périodique, c'est un exercice difficile! Et comme en plus je n'attache pas de crédibilité à l'astrologie, je ne vais pas, contrairement aux vrais astrologues, les accuser de décrédibiliser l'astrologie

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